La photographie de plateau

La photographie de plateau
31 mai 2024 | Archives et expertise

La photographie de plateau est considérée comme une image commerciale en vue de promouvoir un film. Mais n’est-elle qu’un simple outil de marketing ? Pour tenter de répondre à cette question, il est important de comprendre son origine et son évolution à travers le temps.

La photographie au cinéma, un outil essentiel

La photographie et le cinéma sont étroitement liés et tout simplement indissociables.

L’utilisation de la photographie intervient avant même le début d’un tournage de film, avec ce que l’on appelle le repérage. Les cinéastes s’en servent comme outil leur permettant de décrire un lieu, définir une ambiance, choisir les meilleurs angles de vue… Ces photos peuvent également aider le réalisateur à se projeter dans leurs personnages grâce à des photos de portraits… D’un point de vue plus pratique, elles indiquent si le terrain présente des difficultés particulières quant à la maniabilité des caméras.

Sur le tournage, nous avons le directeur de la photographie, nommé aussi chef opérateur et directeur photo, qui est responsable de la prise de vues.

Le photographe de plateau, lui, est engagé pour immortaliser aussi bien les scènes emblématiques du film que les répétitions ou les moments entre les prises.

Le rôle du photographe de plateau

Si le directeur de la photographie est indispensable, le rôle du photographe de plateau n’est pas à négliger. Pour l’expliquer, voyons déjà les différents termes utilisés en photographie au cinéma.

Lexique de la photographe au cinéma

Tout d’abord, il faut distinguer les photos de plateau des photos de tournage même si elles sont toutes deux réalisées par le photographe de plateau.

« On appelle photographie de plateau toute photographie réalisée par un photographe à l’occasion du tournage d’un film, tendant à restituer une scène de ce film ou l’esprit de cette scène. Rien ne doit y apparaître de tous les artifices techniques nécessaires à la fabrication de cette scène : pas de projecteurs, pas de caméra ou de techniciens, pas de cubes destinés à surélever les meubles, pas de microphones, pas de traces de craie marquant au sol la place des comédiens. La photographie de plateau doit donner l’illusion d’être empruntée au film même. »

Pierre Zucca, « La photographie du plaisir », Images du cinéma (1980) ¹

La photographie de tournage, quant à elle, retranscrit l’ambiance qui régnait lors du tournage ; on y voit les acteurs mais aussi les techniciens, le réalisateur, bref toute l’équipe du film.

Ces photos font de jolis souvenirs à l’équipe de tournage, mais leur but principal est surtout commercial. Elles servent à promouvoir et distribuer le film, c’est ce que l’on appelle la photographie d’exploitation.

L’évolution de la photographie de plateau

Dans les années 1910, avec l’industrialisation du cinéma, on va commencer à équiper les plateaux de tournages de studios photographiques.

Voici le témoignage très intéressant de Pierre Trimbach, qui fut opérateur de la Compagnie Pathé et directeur de la photographie des premiers films muets et des actualités Pathé, et qui nous aide à comprendre comment on procédait à cette période :

« A cette époque, il n’y avait pas encore de « photographe de plateau » comme de nos jours. Chaque opérateur, après le tournage d’une séquence, prenait une photo de la scène jugée la plus intéressante en faisant prendre aux acteurs la pose qu’ils avaient en tournant : bien entendu cette photo était prise en pose très courte. Le but était de faire une documentation afin que ces photos servent aux dessinateurs chargés des affiches aux lancements des films. » ²

Les opérateurs-caméra étaient donc chargés de réaliser des images fixes des scènes, en vue de créer les affiches publicitaires.

Les images de plateau sont également destinées à habiller les vitrines de cinéma :

« Pathé et certaines sociétés américaines éditeront de magnifiques clichés rehaussés de couleurs, destinés aux exploitants de salles qui les exposaient dans le hall de leur cinéma. » ³

Les photographies de plateau étaient affichées à l’entrée des salles de cinéma pour donner envie aux passants de voir le film sur grand écran. Elles montraient des scènes clés, des portraits des stars… L’utilisation des photographies de plateau dans les vitrines de cinéma va continuer jusque dans les années 80 en France.

Après la Première Guerre mondiale, la photographie de plateau bénéficie d’évolutions techniques significatives qui transforment ses pratiques et son exploitation. Les avancées technologiques, notamment dans les caméras et les équipements d’éclairage, permettent d’améliorer la qualité des images prises sur le plateau et offrent aux photographes plus de contrôle sur l’ambiance et la qualité de la lumière dans leurs clichés. Ils peuvent ainsi créer des images plus esthétiques et dramatiques, contribuant à faire de la photographie de plateau un art à part entière. Les équipements de photographie deviennent aussi plus compacts et portables facilitant le déplacement des photographes sur le plateau.

A la fin des années 1920, arrive le cinéma parlant, révolution qui va complètement bouleverser la façon de faire des studios. Les tournages deviennent silencieux, ce qui impacte directement le photographe de plateau car désormais il doit attendre la fin de la scène pour réaliser ses images.

Ces transformations considérables s’observent également dans la diffusion des images, notamment avec l’essor de la presse spécialisée dans le cinéma, qui favorise le développement de la photographie de plateau. Au cours des années 1930, son usage évolue pour répondre à de nouveaux besoins.

« La presse apporte une légitimité à la photographie de plateau, elle sert à illustrer les articles : on voit les images des films avant même leurs sorties. On décortique les plateaux pour comprendre les techniques de tournages. La presse joue un rôle important pour amener une nouvelle diffusion de la photographie de plateau mais aussi pour la photographie de stars. Bien que celle-ci commence avant la guerre, la vedette de cinéma est toujours d’actualité et représente un bon filon. La photographie de plateau joue un rôle essentiel dans la volonté de créer des figures mythiques, mais les studios photographiques vont vite la supplanter. On peut citer par exemple le studio Harcourt et le studio de Sam Lévin qui commencent leurs activités dans les années 1930. »

En 1936, Henri Langlois crée la Cinémathèque française. Sa mission : préserver et restaurer les films muets, parlants et sonores, mais aussi tout ce qui est en lien avec le cinéma à savoir : les costumes, décors, affiches, et autres trésors du 7ème art. C’est grâce à cet organisme que la photographie de plateau prend une dimension patrimoniale. Elle ne se limite plus à une image publicitaire mais devient un véritable témoin historique.

Le cinéma d’après-guerre rencontre un vrai succès. 1947 et 1957 sont deux années record avec 423 millions et 411 millions de spectateurs ! Pour vous donner un ordre d’idée, en 2023, la fréquentation des salles a chuté à 181 millions d’entrées. La fin des années 1950 est marquée par le mouvement de la Nouvelle Vague.

En 1970, 70,4% des ménages français sont équipés d’un poste de télévision et progressivement les Français fréquentent de moins en moins les salles de cinéma. L’arrivée de la chaîne privée Canal+ en 1984 aggrave cette tendance à la baisse des spectateurs dans les salles.

Ces changements impactent directement l’économie du cinéma. Les budgets sont réduits, les photographes de plateau ne sont plus forcément engagés sur toute la durée du tournage. Aujourd’hui, il n’est pas rare que les producteurs se servent de screenshots du film pour en faire la promotion, une solution nettement plus économique.

Le métier de photographe de plateau


Les qualités requises

On l’a vu, c’est un métier qui a beaucoup évolué avec le temps et ne demande plus les mêmes compétences qu’au début du cinéma. Le photographe de plateau doit s’imposer tout en se faisant discret au milieu des acteurs et de l’équipe technique. Sa mission consiste à saisir les moments clés du film, réussir à capter l’émotion des comédiens sans pour autant être un copier-coller du long-métrage et en essayant de restituer au mieux l’atmosphère et l’univers du réalisateur. Pour cela, il doit être à la fois un technicien hors-pair et un artiste inventif.

Dans l’ouvrage In Tournages Paris-Berlin-Hollywood 1910-1939, l’auteur Laurent Mannoni nous donne sa vision du photographe de plateau : « Pour attirer le regard, le photographe de studio doit posséder beaucoup de talent et de sensibilité. Vendre une histoire cinématographique à l’aide d’un instant figé, suggérer du mouvement sur une image immobile, faire rêver, promettre de l’illusion, de la terreur, du suspense, de l’action en un seul cliché. » ⁵

Il faut également faire preuve de patience, si l’on en croit les dires de Jérôme PLON, photographe de plateau auprès de Cédric Klapisch, interviewé par Nikon le mag : « Par contre, en étant présent sur l’ensemble du tournage, tu es obligé de te diluer dans des rythmes parfois très longs. Une scène de 20 secondes peut nécessiter jusqu’à une journée tournage. L’attente, c’est le plus dur à gérer, physiquement et intellectuellement. Il faut rester concentré alors que le rythme autour est diffus. C’est important de garder la fraîcheur du regard pour photographier une scène. »

Jean-Claude Moireau, photographe de plateau sur les films de François Ozon, confie au CNC « Avec le temps, on a appris à travailler ensemble. Avec François, j’ai appris à ne pas perdre de temps, il faut aller vite, c’est énergie et concentration. Il a également pris l’habitude, depuis quelques films, de me faire venir le jour des essais filmés. Il y a beaucoup de photos à faire ce jour-là. Certaines d’entre elles seront utilisées dans un décor donné après avoir été retravaillées par l’équipe décoration : ce fut le cas pour Frantz, où il y avait un grand besoin de photos de famille anciennes en noir et blanc ou sépia ».⁷

Chaque réalisateur est différent et a ses propres exigences, il faut donc aussi savoir s’adapter.


L’équipement du photographe de plateau

Au début du siècle, les photographes de plateau travaillent à l’aide de chambres (appareils photographiques de grand format fixés sur pied) et sont placés au plus près de la caméra. Le format classique pour les négatifs est le 13×18 cm.

Puis dans les années 30, l’apparition des appareils photos portatifs amène un changement radical dans les pratiques du photographe de plateau. Fini l’immobilisme, ils peuvent enfin se déplacer et prendre des clichés durant le tournage.

Le Leica est mis sur le marché en 1925, il faudra attendre le milieu des années 1930 pour une réelle commercialisation de cet appareil. Celui-ci a un format basé sur celui du cinéma : le 35 mm. Quant au Rolleiflex, commercialisé en 1929, c’est un appareil bi-objectif qui permet de faire des photographies au format 6×6 cm. L’utilisation du Rolleiflex et du Leica se démocratisera vers la fin des années 30. ⁸

Leica I 1:3,5 (1927 © Kameraprojekt Graz 2015)

De nos jours, afin de rester discrets sur le plateau, certains photographes utilisent un blimp, boîter qui couvre le son. D’autres le trouvent trop contraignant, car très encombrant, et préfèrent s’en passer, quitte à faire rejouer une scène aux acteurs.

On trouve également de très bons appareils photo silencieux.


Des photographes de plateau qui ont marqué l’histoire du cinéma français

Même si les images de cinéma sont inscrites dans nos mémoires, les noms des photographes de plateau restent encore méconnus du grand public.

Voici quelques personnalités qui ont laissé une empreinte indélébile dans l’histoire du cinéma français.

Chambre photographique

Tout d’abord, on peut citer Georges Méliès qui est l’un des premiers photographes de plateau dont le nom apparaît dans la base de données de la Cinémathèque française.

Très connu dans le monde du cinéma, notamment pour avoir réalisé une centaine de films dont Le Voyage dans la Lune (1902), il est considéré comme un magicien du cinéma. Dès ses premiers films, il a compris l’importance de garder une trace de ses tournages et de ses films. Pour ce faire, il va réaliser lui-même les photographies de plateau et de tournages de ses films ou demander à l’un de ses opérateurs caméras. ⁹

Lucienne Chevert, asssociée de Sam Lévin, est une autre figure emblématique du cinéma français. Photographe de plateau sur de nombreux films tels que Quai des Orfèvres dont elle a d’ailleurs inspiré le personnage de Dora, elle est aussi connue pour être une photographe portraitiste de vedettes de cinéma (Brigitte Bardot, Jeanne Moreau, Bernard Blier…).

Raymond Cauchetier, photographe de plateau du courant de la Nouvelle Vague, a travaillé sur des films comme Jules et Jim, Les Quatre Cent Coups ou encore À bout de souffle. Il raconte que la célèbre photo de Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg déambulant sur les Champs-Élysées a été prise à l’écart du tournage : « Ce qui est bon pour le cinéma ne l’est pas toujours pour la photo. Pour la séquence des Champs-Élysées, j’ai préféré, et c’était une première, emmener les comédiens loin de la foule, en bas de l’avenue, pour rejouer la scène. Seuls les professionnels savent que cette photo, qui a fait le tour du monde, n’est pas une photo du film. » ¹⁰

On ne peut malheureusement pas citer tous les grands noms de la profession, mais sachez que l’association PFA (Photographes de Films Associés) œuvre pour assurer la pérennité du métier de photographe de plateau.

Numérisations de TRIBVN Imaging

Si TRIBVN Imaging s’intéresse autant à ce sujet, c’est parce que nous sommes souvent amenés à numériser des fonds de photographie de plateau.

Nous travaillons régulièrement pour la fondation Jérôme SEYDOUX-PATHE, pour qui, en 2023, nous avons numérisé une collection de tirages, des photos de 3 films des Inconnus (Le pari, Les 3 frères et Les rois mages), ou encore des photos de plateau du film L’antre infernale (Gaston Velle, 1905). Et nous venons de commencer la numérisation d’un nouveau lot qui concerne plus de 1500 tirages, provenant de films comme la Reine Margot, Les enfants du paradis, Hôtel du Nord…. Ainsi que des portraits d’acteurs tels que Yves Montant, Michel Simon, Arletty, Michèle Morgan…

La Fondation Jérôme SEYDOUX-PATHE dispose d’une bibliothèque en ligne très riche, n’hésitez pas à y jeter un œil, on y trouve quelques pépites !

De 2001 à 2013, nous avons numérisé une bonne partie des fonds de la photothèque de l’INA, dont une partie correspondait aux photos de plateau des émissions de télévision (Guy LUX, Léon ZITRONE et autres animateurs faisaient vivre ces émissions)

Des prestations similaires ont été menées pour la BIFI (Bibliothèque du film) de 1997 à 2001, puis pour la Cinémathèque Française.

D’autres photothèques internationales ont des besoins similaires.


¹ Cinémathèque – Juliette Huba-Mylek – 1 septembre 2023 https://www.cinematheque.fr/article/2053.html

² Pierre Trimbach, Quand on tournait la manivelle… il y a 60 ans … ou les mémoires d’un opérateur de la Belle époque, Paris, Éditions CEFAG, 1970, p. 20. 13

³ Isabelle Champion, Laurent Mannoni, « Le cinéma au travail », In Tournages Paris-Berlin-Hollywood 1910-1939, Paris, Éditions Passage, 2010, p. 12.

⁴ Mathilde GALIS – La Photographie de plateau en France – Qu’est-ce que la photographie de plateau aujourd’hui ? p. 20. https://www.ens-louis-lumiere.fr/wp-content/uploads/2024/02/ENSLL_2014_Photo_Galis_BD.pdf

⁵ Isabelle Champion, Laurent Mannoni, « Le cinéma au travail », In Tournages Paris-Berlin-Hollywood 1910-1939, Paris, Éditions Passage, 2010, p. 12.

⁶ Interview Jérôme PLON – le mag Nikon club – https://lemag.nikonclub.fr/le-photographe-de-plateau/

⁷ CNC – Centre National du Cinéma et de l’Image animée – 18 août 2023 https://www.cnc.fr/cinema/actualites/le-photographe-de-plateau-un-temoin-qui-capture-linstant_1132226

⁸ Mathilde GALIS – La Photographie de plateau en France – Qu’est-ce que la photographie de plateau aujourd’hui ? p. 17. https://www.ens-louis-lumiere.fr/wp-content/uploads/2024/02/ENSLL_2014_Photo_Galis_BD.pdf

⁹ Mathilde GALIS – La Photographie de plateau en France – Qu’est-ce que la photographie de plateau aujourd’hui ? p. 12. https://www.ens-louis-lumiere.fr/wp-content/uploads/2024/02/ENSLL_2014_Photo_Galis_BD.pdf

¹⁰ Raymond Cauchetier, Le Métier de photographe de plateau, Bibliothèque du film, 2000.